Des glaciers sous haute surveillance – Magazine Terrésens #3
18 novembre 2016Developpement durable
La chute de séracs, la formation de poches d’eaux et de lacs de fonte…Autant d’effets du réchauffement de la planète sur les glaciers du Mont Blanc, auscultés par Luc Moreau
Propos recueillis par Jocelyne Vidal– Article issu Magazine Terrésens 3- Editions Free Presse
Glaciologue et membre associé de l’équipe de recherche du laboratoire EDYTEM (Environnement et Dynamique des Territoires de Montagne) du CNRS, Luc Moreau s’est spécialisé dans l’étude de l’hydrologie sous-glaciaire reliée au glissement des glaciers. Témoins de l’évolution du climat, les géants de glace livrent leurs secrets lors des « balades glaciologiques » de Luc Moreau. Ce docteur en géographie alpine est intarissable sur la naissance, la vie et le devenir des glaciers chamoniards, à commencer par le plus mythique : la Mer de Glace.
Quelle conséquence a le réchauffement climatique sur la vie des glaciers ?
Tous les glaciers du Mont Blanc sont en décrue, autrement dit en recul. La longueur de nos glaciers diminue car leur volume de glace s’allège et leur fait perdre de la vitesse. Il faut savoir que les vitesses d’écoulement de ces fleuves de glace s’équilibrent suivant leur masse, la topographie, les pressions d’eaux de fonte circulant en été sous le glacier. Les plus fortes vitesses -700 mètres par an – sont atteintes dans le chaos de séracs du glacier du Géant dont l‘épaisseur de glace n’excède pourtant pas 40 mètres.
En aval de la chute, les crevasses se referment en formant les fameuses Bandes de Forbes : le terme désigne les alternances de tons clairs et sombres formées en amont du glacier, par les différences de conditions météorologiques entre l’hiver et l’été. Au Tacul, glacier du Massif du Mont Blanc, la glace a encore 350 mètres d’épaisseur mais la vitesse d’écoulement du glacier baisse de cent mètres par an. Comparables à d’énormes tapis roulants, les glaciers en décrue reculent lentement mais sûrement, au fond des vallées.
Comment va évoluer la Mer de Glace ?
A l’instar des autres glaciers alpins, la Mer de Glace a subi les effets d’importants changements climatiques. Dès la dernière glaciation qui s’est achevée il y a dix mille ans, le plus grand glacier français (1) a connu quelques Petits Ages Glaciaires par le biais de chutes de neige plus abondantes et d’étés frais. Situé entre 1580 et 1820, le dernier de ces Petits Ages Glaciaires s’est traduit par une avancée de la Mer de Glace jusqu’au village des Bois.
Depuis 1830 en revanche, le glacier a perdu 180 mètres d’épaisseur et 2500 mètres de longueur. Sous le Montenvers , site chamoniard qui domine de 1913 mètres la Mer de Glace, la couche de glace s’est même délestée de 85 mètres d’épaisseur entre 1986 et 2012. Elle diminue désormais, sous l’effet de fortes chaleurs estivales, de près de quatre mètres par an. Résultat : le glacier noircit sous un écroulement de moraines et une accumulation de pierres que ne peuvent plus absorber les crevasses. Cette noirceur est révélatrice d’un climat comparable à celui du Moyen Age et dont la Mer de Glace n’a pas fini de subir les conséquences. On peut s’attendre à plusieurs années de diminution de la couche de glace sous le Montenvers, vu la longueur du temps de réaction d’un glacier à un climat donné.
Quels sont les dangers de ces bouleversements géologiques pour les populations ?
La chute de séracs susceptibles de déclencher une avalanche, la formation de poches d’eau et de lacs générés par une brusque fonte des neiges…Voilà les trois principaux dangers que les glaciologues s’emploient à éviter par une veille scientifique, une surveillance permanente des glaciers et une information systématique des communautés montagnardes. Ainsi les chutes de séracs du glacier de Taconnaz, à l’origine de plusieurs déclenchements d’avalanches au-dessus des Houches, justifient-elles à nos yeux , l’agrandissement du dispositif paravalanche existant.
A 3200 mètres d’altitude, le glacier de Tête Rousse est également sous haute surveillance. Jugé sensible depuis le déferlement de 100 000 mètres cubes d’eau sur la commune de Saint Gervais où l’on déplora 175 victimes en 1892, le site a révélé en 2010, grâce aux mesures par résonance magnétique réalisées sous la direction de Christian Vincent, chercheur au CNRS, une nouvelle poche d’eau de 60 000m3, soit l’équivalent de vingt piscines olympiques. Des travaux de vidange et de pompage ont aussitôt été engagés par l’Etat et l’Europe pour sécuriser le site où vivent près de neuf cents familles.
Les amoureux de la montagne ne doivent-ils pas composer aux aussi, avec le risque climatique ?
Le recul des glaciers entraine une dégradation du permafrost (2): le brusque réchauffement de terrains gelés depuis trois siècles risque à tout moment de fissurer la roche, de créer des éboulements rocheux. Comme l’a souligné dans sa thèse, Ludovic Ravanel, chargé de recherche au laboratoire Edytem, Université de Savoie-CNRS, l’instabilité des parois rocheuses des Drus et des aiguilles de Chamonix, est clairement corrélée aux périodes les plus chaudes. Depuis l’année 1997 qui a vu 2,5 millions de mètres cubes de roche se détacher de la Brenva, sur le versant italien du Mont Blanc, les écroulements de rochers se multiplient, au point de faire de la face ouest des Drus et du pilier Bonatti, des parois interdites.
Propos recueillis par Jocelyne Vidal
- Avec 11 kilomètres de longueur et 31 km2 de superficie, la Mer de Glace est le plus grand glacier français.
- Le permafrost désigne un sol dont la température se maintient au-dessous de zéro degré pendant plus de deux années consécutives.
Le Glaciorium de la Compagnie du Mont Blanc
« Outre les espaces, c’est aux connaissances que l’on souhaite avoir accès », déclare Pierre-Yves Chaix, scénographe de l’agence chamoniarde Implicite à qui la Compagnie du Mont Blanc a confié la réalisation du Glaciorium de la Mer de Glace. Un espace interactif de 120m2 fertiles en effets spéciaux centrés, entre autres, sur le mécanisme des avalanches et des effondrements de séracs.
La formation et l’évolution des paysages et des glaciers n’auront plus de secrets pour les visiteurs accueillis sur place par des glaciologues. Au côté de Luc Moreau, Sylvain Coutterand vous apprendra que la Mer de Glace a perdu 180mètres d’épaisseur depuis 1852. A l’ époque, il ne fallait pas moins de deux cents mulets pour faire l’excursion du Montenvers, parcouru, dans la foulée des premiers touristes britanniques William Windham et Richard Pococke, par William Turner, Chateaubriand, Byron, Victor Hugo, Alexandre Dumas, Charles Dickens et Louis Pasteur.
Pour plus d’informations rendez-vous sur : www.compagniedumontblanc.fr
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